Évocation n° 06 - Trois allumettes
Objets sur socle blanc, texte encadré - 2016
Objets sur socle blanc, texte encadré - 2016
Texte de la proposition :
Trois allumettes
Trois allumettes sont posées sur un socle d'exposition. Deux d'entre elles sont intactes, la troisième est brûlée. Elle a été allumée, puis posée sur le socle, en laissant une trace sur la surface de présentation.
Devant cette composition, des films, souvent d'action, me viennent à l'esprit, films dans lesquels le héros s'allume une cigarette au début de la narration, dans les premiers moments, puis se retrouve, dans les scènes finales, dans la nécessité de trouver du feu (allumage de dynamite, panne d'électricité, besoin de voir dans le noir, déclenchement d'incendie...) Le réalisateur laisse bien le temps au spectateur de noter qu'il ne reste dans la boîte que deux allumettes dans ces images initiales, et ce dernier, le spectateur, s'angoisse vite lorsqu'il comprend que le sort du héros, sinon le sort de la planète, ne dépend plus que d'une allumette quand vient la scène finale. Dans la proposition, la situation n'est pas à ce point extrême et tendue : il reste en effet deux allumettes intactes, posées sur le socle.
Dans le domaine cinématographique, cette proposition m'évoque aussi les films de Clint Eastwood, et sa panoplie de cow-boy : poncho, chapeau, revolvers et clope au bec. Peut-être l'absence de grattoir, généralement associé à l'allumette, me fait elle penser aux allumettes anciennes, "allumettes de western" dirons-nous, celles que Clint enflamme sur le revers de la veste de l'ennemi, quand le duel n'en est qu'à ses prémices. La trace laissée sur le socle participe peut-être elle aussi, à cette évocation : le bois brûlé, le manque de précaution, l'allumette jetée là, encore enflammée... On pourrait imaginer la trace d'une main sale, qui se serait appuyée sur le socle, par ce cow-boy, pourquoi pas quelques cendres échouées elles aussi sur la proposition, une traînée jaunie de whisky renversé, essuyée d'un revers de manche, mais jurant sur la surface blanche...
Ces 3 allumettes forment aussi une composition plutôt classique, simpliste et que l'on connaît déjà... On peut y voir un coin de table de salon, occupé lors d'une soirée. On pourrait imaginer quelques verres autour, des bouteilles, un bol avec des cacahuètes, des apéritifs... Peut-être, mais plus loin, un cendrier. La personne située à proximité de ce coin de table n'aurait pas trouvé, ou n'aurait pas pris la peine d'accéder à ce cendrier. Elle aurait alors posé là son allumette brûlée, sur le coin de table, plutôt que par terre. On pourrait imaginer qu'un tapis respectable pourrait être la raison de cette préférence. Il s'agirait d'un moment de soirée assez entamée, suffisamment en tous cas pour que ni l'utilisateur de cette allumette, ni les convives alentour, ne remarquent les dégâts de celle-ci sur le meuble. Cependant, la propreté et la blancheur de l'ensemble du socle tranche avec ces ambiances festives et arrosées. La présence du socle blanc, étranger aux saloons de westerns et aux intérieurs de salon, nous ramène vers le domaine artistique. Une proposition artistique associée à une ambiance festive nous conduit à l'idée du « vernissage ». On pourrait penser à un socle inutilisé dans l'exposition, et qui serait mis à disposition des invités et visiteurs, à proximité d'un buffet. Peut-être ce socle présentait-il de la documentation, des imprimés relatifs aux travaux exposés, et s'est-il vu considéré comme accoudoir ou repose-verre une fois la pile de documents épuisée, une fois la soirée avancée.
La mise en valeur de ces trois allumettes interpelle. A vingt centimes la boîte de quarante allumettes, le spectateur peut être mené à se demander pourquoi tant de mise en scène, pourquoi tant de précautions autour de ces trois morceaux de bois qui finissent quotidiennement échoués au sol, sur un trottoir ou dans une poubelle. La proposition ne souligne donc sûrement pas la valeur de l'allumette en elle-même. Peut-être le propos de la composition se base t-il plutôt sur le feu. La valeur du feu... préhistoire, guerre du feu, Jean-Jacques Annaud... peut-être plus proche, l'image du scout que l'on imagine reprendre en forêt les gestes ancestraux pour faire naître un foyer, l'alimenter, faire prendre un feu (je me demande si ces pratiques sont toujours d'actualité...)
Peut-être leur nombre donne t-il leur valeur à ces trois allumettes... la trinité, le père, le fils, le Saint Esprit évoqué par la fumée de l'une d'elles, produite lors de son allumage... Le mystique, associé au feu dans le domaine artistique, m'évoque l'artiste Yves Klein qui, à un moment de sa production, réalisait ses œuvres dans la considération des quatre éléments. On peut le voir, sur des photos, accompagné d'un pompier, employer un lance-flammes pour réaliser sa série « Peintures de feu », jeux d'empreintes plus ou moins « appuyées », plus ou moins marquées de la flamme sur les supports. Je pense aussi aux bibliothèques de Parmiggiani, à la grand-mère de 451 fahrenheit qui refuse de quitter ses livres et se fait brûler vive, aux destructions de savoirs écrits par l’Allemagne nazie, cette dédicace du führer sur le carnet du Docteur Henri Jones. Au regard de ces évocations, le feu de cette allumette m'est associé aux livres brûlés... L'objet m'évoque finalement deux images bien opposées : le sauvetage du monde des productions cinématographiques et les sinistres autodafés des régimes totalitaires.
Trois allumettes
Trois allumettes sont posées sur un socle d'exposition. Deux d'entre elles sont intactes, la troisième est brûlée. Elle a été allumée, puis posée sur le socle, en laissant une trace sur la surface de présentation.
Devant cette composition, des films, souvent d'action, me viennent à l'esprit, films dans lesquels le héros s'allume une cigarette au début de la narration, dans les premiers moments, puis se retrouve, dans les scènes finales, dans la nécessité de trouver du feu (allumage de dynamite, panne d'électricité, besoin de voir dans le noir, déclenchement d'incendie...) Le réalisateur laisse bien le temps au spectateur de noter qu'il ne reste dans la boîte que deux allumettes dans ces images initiales, et ce dernier, le spectateur, s'angoisse vite lorsqu'il comprend que le sort du héros, sinon le sort de la planète, ne dépend plus que d'une allumette quand vient la scène finale. Dans la proposition, la situation n'est pas à ce point extrême et tendue : il reste en effet deux allumettes intactes, posées sur le socle.
Dans le domaine cinématographique, cette proposition m'évoque aussi les films de Clint Eastwood, et sa panoplie de cow-boy : poncho, chapeau, revolvers et clope au bec. Peut-être l'absence de grattoir, généralement associé à l'allumette, me fait elle penser aux allumettes anciennes, "allumettes de western" dirons-nous, celles que Clint enflamme sur le revers de la veste de l'ennemi, quand le duel n'en est qu'à ses prémices. La trace laissée sur le socle participe peut-être elle aussi, à cette évocation : le bois brûlé, le manque de précaution, l'allumette jetée là, encore enflammée... On pourrait imaginer la trace d'une main sale, qui se serait appuyée sur le socle, par ce cow-boy, pourquoi pas quelques cendres échouées elles aussi sur la proposition, une traînée jaunie de whisky renversé, essuyée d'un revers de manche, mais jurant sur la surface blanche...
Ces 3 allumettes forment aussi une composition plutôt classique, simpliste et que l'on connaît déjà... On peut y voir un coin de table de salon, occupé lors d'une soirée. On pourrait imaginer quelques verres autour, des bouteilles, un bol avec des cacahuètes, des apéritifs... Peut-être, mais plus loin, un cendrier. La personne située à proximité de ce coin de table n'aurait pas trouvé, ou n'aurait pas pris la peine d'accéder à ce cendrier. Elle aurait alors posé là son allumette brûlée, sur le coin de table, plutôt que par terre. On pourrait imaginer qu'un tapis respectable pourrait être la raison de cette préférence. Il s'agirait d'un moment de soirée assez entamée, suffisamment en tous cas pour que ni l'utilisateur de cette allumette, ni les convives alentour, ne remarquent les dégâts de celle-ci sur le meuble. Cependant, la propreté et la blancheur de l'ensemble du socle tranche avec ces ambiances festives et arrosées. La présence du socle blanc, étranger aux saloons de westerns et aux intérieurs de salon, nous ramène vers le domaine artistique. Une proposition artistique associée à une ambiance festive nous conduit à l'idée du « vernissage ». On pourrait penser à un socle inutilisé dans l'exposition, et qui serait mis à disposition des invités et visiteurs, à proximité d'un buffet. Peut-être ce socle présentait-il de la documentation, des imprimés relatifs aux travaux exposés, et s'est-il vu considéré comme accoudoir ou repose-verre une fois la pile de documents épuisée, une fois la soirée avancée.
La mise en valeur de ces trois allumettes interpelle. A vingt centimes la boîte de quarante allumettes, le spectateur peut être mené à se demander pourquoi tant de mise en scène, pourquoi tant de précautions autour de ces trois morceaux de bois qui finissent quotidiennement échoués au sol, sur un trottoir ou dans une poubelle. La proposition ne souligne donc sûrement pas la valeur de l'allumette en elle-même. Peut-être le propos de la composition se base t-il plutôt sur le feu. La valeur du feu... préhistoire, guerre du feu, Jean-Jacques Annaud... peut-être plus proche, l'image du scout que l'on imagine reprendre en forêt les gestes ancestraux pour faire naître un foyer, l'alimenter, faire prendre un feu (je me demande si ces pratiques sont toujours d'actualité...)
Peut-être leur nombre donne t-il leur valeur à ces trois allumettes... la trinité, le père, le fils, le Saint Esprit évoqué par la fumée de l'une d'elles, produite lors de son allumage... Le mystique, associé au feu dans le domaine artistique, m'évoque l'artiste Yves Klein qui, à un moment de sa production, réalisait ses œuvres dans la considération des quatre éléments. On peut le voir, sur des photos, accompagné d'un pompier, employer un lance-flammes pour réaliser sa série « Peintures de feu », jeux d'empreintes plus ou moins « appuyées », plus ou moins marquées de la flamme sur les supports. Je pense aussi aux bibliothèques de Parmiggiani, à la grand-mère de 451 fahrenheit qui refuse de quitter ses livres et se fait brûler vive, aux destructions de savoirs écrits par l’Allemagne nazie, cette dédicace du führer sur le carnet du Docteur Henri Jones. Au regard de ces évocations, le feu de cette allumette m'est associé aux livres brûlés... L'objet m'évoque finalement deux images bien opposées : le sauvetage du monde des productions cinématographiques et les sinistres autodafés des régimes totalitaires.