Évocation n° 08 - L'échantillon
Objets sur socle blanc, texte encadré - 2016
Objets sur socle blanc, texte encadré - 2016
Texte de la proposition :
L'échantillon
La proposition se compose d'un échantillon de toile, enduite d'un apprêt (sûrement une préparation à base de gesso), présenté entre deux plaques de verre. Le morceau de toile présente à un de ses quatre bords, une partie qui n'est pas enduite, partie qui laisse voir la couleur du tissu sans apprêt. Les deux plaques de verre, bien que toutes deux de forme rectangulaire, ne font pas la même taille et ne présentent pas le même rapport largeur/hauteur. La plaque située sous le tissu est moins allongée que la plaque qui repose dessus.
Le morceau de tissu présente des particularités dans la nature, l'état de ses bords. L'un indique le bout du rouleau de toile, par le fait qu'il n'est pas enduit. Ce côté présente par ailleurs les franges de cette extrémité de tissu. Le côté qui lui fait face a été découpé aux ciseaux, très approximativement, de manière non linéaire. Concernant les deux autres côtés, l'un a été lui aussi découpé, mais cette fois de manière très appliquée, la ligne est droite et le trait de coupe suit les lignes, les mailles de la toile. Le quatrième côté a été déchiré, dans le sens de la toile, geste courant dans la préparation d'une toile sur châssis. Ce bord est donc droit, mais présente des déchirures de fils. L’apprêt un peu brusqué par cette découpe sans outil tranchant est craquelé sur la longueur de ce côté. La surface de toile blanche de cet échantillon permet beaucoup moins de considérations que les natures distinctes de ses quatre bords.
Ce morceau, ce prélèvement de toile coincé entre ces deux plaques de verre, m'évoque très rapidement le milieu scientifique, ces échantillons de sang, par exemple, que l'on compresse entre deux lamelles de verre, puis que l'on place sous la visée oculaire d'un microscope. Les plaques, de taille différente, pourraient indiquer un manque de moyens de la part de l'analyste, du chercheur, qui se verrait contraint de « bricoler » avec les moyens à sa disposition, un examen réalisé dans une certaine urgence, les deux surfaces non ajustées. Comment adapter cet ensemble à un microscope ? Dans une autre considération, on peut imaginer un dispositif scientifique dans lequel s'enclencherait, s'ajusterait précisément cet ensemble, dispositif plus élaboré, peut-être, que les microscopes que nous utilisions en cours de sciences physiques, durant lesquels, j'essayais vainement de m'intéresser au noyau d'une cellule.
Dans notre cas, un morceau de toile serait examiné au microscope... L'emploi, le recours au domaine du scientifique dans celui des arts me fait penser à la restauration des peintures anciennes, et aux procédés scientifiques qui la serve. La restauration de l' « atelier » de Courbet me vient à l'esprit, les grandes précautions prises pour intervenir sur le chef-d’œuvre, la toile posée à l'horizontale dans un énorme caisson de verre, sa mise en quarantaine, les accoutrements spécifiques des spécialistes, les multiples capteurs d'humidité et autres dangers potentiels... Sur une petite surface de la peinture était présenté le rendu qui serait obtenu après l'intervention de l'équipe de restauration. Une mesure destinée à rassurer le spectateur, et complétée d'informations expliquant cette intervention. L' « Atelier » pose problème : il perd de sa luminosité, s'obscurcit : l'intervention de spécialistes se révèle inévitable, à l'image du chirurgien préconisant une amputation pour prévenir la diffusion d'une gangrène... solution malheureuse et qui coûte (une jambe ou un bras pour le cas du malade), mais inévitable. L'échantillon proposé au spectateur, c'est la simulation proposé au patient : "ici votre nez dans l'état actuel, avant l'intervention... Et là, votre futur nez, après... Reconnaissez que ça vaut le coup !" Ou plutôt "Ça, c'est l'état de vos gencives si on n'intervient pas rapidement..."
La proposition m'évoque l'emploi du rayon x utilisé dans les nouvelles études, dans les nouvelles analyses des toiles des maîtres. Par l'exploration des différentes couches des peintures, couches visibles et non visibles à l’œil nu, couches offertes au regard et couches dissimulées, le rayon dévoile des parties de toiles corrigées, des reconsidérations de l'artiste, des changements, des recommencements : Les « repentirs » (j'aime beaucoup le mot). Loin de la "retouche", le "repentir" c'est un changement lourd dans la composition, dans la proposition du peintre... La Bethsabée de Rembrandt s'anime aux rayons X, L'homme blessé de Courbet retrouve son aimante et son sourire, la jeune liseuse de Fragonard fait une pause dans sa lecture...
Dans le domaine de la restauration, tout comme dans le domaine de la médecine, les rayons travaillent à la conservation : conservation de l’œuvre et conservation du corps. Dans le premier cas, en restauration, les rayons X peuvent mettre en lumière une vie passée des figures (des mouvements, des attitudes nouvelles), cachée par un état abîmé. Dans le second cas, en médecine, les rayons X peuvent mettre en lumière un état abîmé, sinon condamné, caché sous une vitalité apparente. Dans les deux cas, il est question de "repentirs", ceux de l'artiste que l'on découvre avec bonheur, et ceux des patients que l'on cherche à faire reculer.
L'échantillon
La proposition se compose d'un échantillon de toile, enduite d'un apprêt (sûrement une préparation à base de gesso), présenté entre deux plaques de verre. Le morceau de toile présente à un de ses quatre bords, une partie qui n'est pas enduite, partie qui laisse voir la couleur du tissu sans apprêt. Les deux plaques de verre, bien que toutes deux de forme rectangulaire, ne font pas la même taille et ne présentent pas le même rapport largeur/hauteur. La plaque située sous le tissu est moins allongée que la plaque qui repose dessus.
Le morceau de tissu présente des particularités dans la nature, l'état de ses bords. L'un indique le bout du rouleau de toile, par le fait qu'il n'est pas enduit. Ce côté présente par ailleurs les franges de cette extrémité de tissu. Le côté qui lui fait face a été découpé aux ciseaux, très approximativement, de manière non linéaire. Concernant les deux autres côtés, l'un a été lui aussi découpé, mais cette fois de manière très appliquée, la ligne est droite et le trait de coupe suit les lignes, les mailles de la toile. Le quatrième côté a été déchiré, dans le sens de la toile, geste courant dans la préparation d'une toile sur châssis. Ce bord est donc droit, mais présente des déchirures de fils. L’apprêt un peu brusqué par cette découpe sans outil tranchant est craquelé sur la longueur de ce côté. La surface de toile blanche de cet échantillon permet beaucoup moins de considérations que les natures distinctes de ses quatre bords.
Ce morceau, ce prélèvement de toile coincé entre ces deux plaques de verre, m'évoque très rapidement le milieu scientifique, ces échantillons de sang, par exemple, que l'on compresse entre deux lamelles de verre, puis que l'on place sous la visée oculaire d'un microscope. Les plaques, de taille différente, pourraient indiquer un manque de moyens de la part de l'analyste, du chercheur, qui se verrait contraint de « bricoler » avec les moyens à sa disposition, un examen réalisé dans une certaine urgence, les deux surfaces non ajustées. Comment adapter cet ensemble à un microscope ? Dans une autre considération, on peut imaginer un dispositif scientifique dans lequel s'enclencherait, s'ajusterait précisément cet ensemble, dispositif plus élaboré, peut-être, que les microscopes que nous utilisions en cours de sciences physiques, durant lesquels, j'essayais vainement de m'intéresser au noyau d'une cellule.
Dans notre cas, un morceau de toile serait examiné au microscope... L'emploi, le recours au domaine du scientifique dans celui des arts me fait penser à la restauration des peintures anciennes, et aux procédés scientifiques qui la serve. La restauration de l' « atelier » de Courbet me vient à l'esprit, les grandes précautions prises pour intervenir sur le chef-d’œuvre, la toile posée à l'horizontale dans un énorme caisson de verre, sa mise en quarantaine, les accoutrements spécifiques des spécialistes, les multiples capteurs d'humidité et autres dangers potentiels... Sur une petite surface de la peinture était présenté le rendu qui serait obtenu après l'intervention de l'équipe de restauration. Une mesure destinée à rassurer le spectateur, et complétée d'informations expliquant cette intervention. L' « Atelier » pose problème : il perd de sa luminosité, s'obscurcit : l'intervention de spécialistes se révèle inévitable, à l'image du chirurgien préconisant une amputation pour prévenir la diffusion d'une gangrène... solution malheureuse et qui coûte (une jambe ou un bras pour le cas du malade), mais inévitable. L'échantillon proposé au spectateur, c'est la simulation proposé au patient : "ici votre nez dans l'état actuel, avant l'intervention... Et là, votre futur nez, après... Reconnaissez que ça vaut le coup !" Ou plutôt "Ça, c'est l'état de vos gencives si on n'intervient pas rapidement..."
La proposition m'évoque l'emploi du rayon x utilisé dans les nouvelles études, dans les nouvelles analyses des toiles des maîtres. Par l'exploration des différentes couches des peintures, couches visibles et non visibles à l’œil nu, couches offertes au regard et couches dissimulées, le rayon dévoile des parties de toiles corrigées, des reconsidérations de l'artiste, des changements, des recommencements : Les « repentirs » (j'aime beaucoup le mot). Loin de la "retouche", le "repentir" c'est un changement lourd dans la composition, dans la proposition du peintre... La Bethsabée de Rembrandt s'anime aux rayons X, L'homme blessé de Courbet retrouve son aimante et son sourire, la jeune liseuse de Fragonard fait une pause dans sa lecture...
Dans le domaine de la restauration, tout comme dans le domaine de la médecine, les rayons travaillent à la conservation : conservation de l’œuvre et conservation du corps. Dans le premier cas, en restauration, les rayons X peuvent mettre en lumière une vie passée des figures (des mouvements, des attitudes nouvelles), cachée par un état abîmé. Dans le second cas, en médecine, les rayons X peuvent mettre en lumière un état abîmé, sinon condamné, caché sous une vitalité apparente. Dans les deux cas, il est question de "repentirs", ceux de l'artiste que l'on découvre avec bonheur, et ceux des patients que l'on cherche à faire reculer.