Évocation n° 10 - Le miroir et le galet
Objets sur socle blanc, texte encadré - 2016
Objets sur socle blanc, texte encadré - 2016
Texte de la proposition :
Le miroir et le galet
La proposition présente deux éléments : un miroir et un galet posés sur un socle. Le galet repose sur le socle, le miroir est « debout », sur son arête, posé contre le galet. Ce miroir est de petite taille, de forme rectangulaire mais imprécise (il semblerait à vue d’œil).
Le bord de mer est la première image que m'évoque la proposition. Le galet me rappelle les plages d'Yport, petit village autrefois de pécheurs à proximité d'Etretat, dans lequel j'aime parfois passer un week-end, et y perdre un billet dans son casino. Le bord de mer, la plage, l'eau et le ciel... De mon point de vue, un angle du socle se reflète dans le miroir, sorte de ligne d'horizon à angle, surréaliste. En raison de l'éclairage, le miroir reflète sur le galet une bande de lumière plus forte, plus blanche : une sorte de dernier rayon de soleil auquel la pierre semble vouloir se rattacher. Du fait de son isolement, ce galet acquiert une particularité, une originalité. Perdu sur la plage parmi « les siens » innombrables, il n'aurait jamais été remarqué, pris en compte. Placé seul, sur un socle, il gagne une toute autre valeur, une toute autre considération, celle d'un spectateur d'exposition, et non plus celle d'un plagiste en short. Peut-être en raison de cet isolement, le galet esseulé recherche t-il la compagnie, le contact des siens, et ce rapport à son reflet évoque cette quête, cette situation. Un galet esseulé qui trouve une compagnie dans l'image de son reflet.
En examinant le rapport du caillou et du miroir, on comprend que le galet, par sa nature, sa forme et son poids ne dépend pas du miroir. Il pourrait être posé seul sur le socle, dans le même état. Contrairement, le miroir ne peut se tenir dans cette proposition, dans cette situation sans son rapport au galet, devenu « support ». C'est ce dernier, en effet, qui permet sa position verticale, « debout ». Le miroir dépend du galet, il repose dessus, comme sur une béquille. Un élément naturel « au service » d'un objet produit de l'homme. Pourquoi ce miroir serait-il venu prendre appui sur ce galet ? Posé face au socle, ou face au plafond, le miroir perd son statut, sa disposition classique, habituelle, c'est à dire verticale. On se tient généralement debout face à un miroir. Lorsque l'on se rase, que l'on évalue sa tenue vestimentaire, que l'on se maquille... ce dernier reste rarement face au plafond... Ainsi, la proposition évoque la tenue d'un élément pas naturel, par un élément naturel, dans son état « naturel », dans le sens d'état qui lui est ordinaire, consacré, intrinsèque. On peut parler d'une « réflexion », c'est bien le mot, sur la notion de « naturel », le naturel produit de la nature, et le naturel de l'objet dans la disposition qui lui est propre. Peut-on dire qu'un miroir "à plat" et non plus debout, n'est pas dans sa position « naturelle » ?
Le rapport du galet à son reflet m'évoque le mythe de Narcisse. Un rapport s'inverse dans la comparaison de la proposition et de cette « légende ». Là où l'homme, Narcisse, contemple son reflet dans un élément naturel, c'est dans notre cas, au tour de la nature, le galet, d'admirer son reflet dans un objet fabriqué et conçu par l'homme, le miroir. Cependant, dans les deux cas, la nature semble prendre le dessus sur l'homme. Dans le cas de Narcisse, c'est parce que l'eau de la source lui révèle son image, qu'il met fin à ses jours. Dans le second cas, nous l'avons dit, le miroir dépend du galet. Par ailleurs, dans un conflit de force entre les deux éléments de la proposition, on imagine facilement le miroir se faire éclater par le galet, et non l'inverse.
Cette considération m'évoque ces clichés de Doisneau, sur lesquels des gamins en short jouent dans les rues, sur les trottoirs, ou dans les terrains vagues, sauvages... les parties de billes, les équilibres sur les mains, les lance-pierres... Le galet de la proposition est un peu gros, mais c'est bien l'image du lance-pierre, sa fourche en bois, sa forme en V et son gros élastique que l'ensemble m'évoque, sûrement en raison de la proximité du miroir, cible idéale... Le plaisir de casser du verre : vitre, carreau, bouteille (de lait sur les clichés de Doisneau)... Je me souviens, gamin, de parties de lancés de cailloux dans des alignements de canettes de bière en verre. Je reconnais que c'était assez « con » comme occupation, mais je me souviens aussi du plaisir de la casse du verre : le visé juste, la puissance, l'éclat, le bruit, le risque un peu aussi, et bien sûr, l'interdit. Mon père m'a souvent raconté cette journée « de malheur » lors de laquelle il avait maladroitement cassé une bouteille de lait en jouant dans le jardin de ses voisins, et la grande angoisse qui l'avait saisi alors, face à l'ampleur des dégâts, la faute impardonnable... Peut-être un écart de générations m'avait permis de ne pas sombrer dans un tel désarroi... Je pense à une installation, découverte au Centre Pompidou, mais dont j'ignore l'auteur, œuvre constituée de néons de verre allumés et suspendus au plafond, et qui chutent les uns à la suite des autres, s'éclatent au sol dans un fracas sonore, et rendent l'espace d'exposition de plus en plus obscur, jusqu'à la chute du dernier, jusqu'au noir complet. Le Labyrinthe de verre éclaté de Parmiggiani, les coups de masse dans les miroirs de Pistoletto, les impacts de balles de Monory... je crois qu'il y a vraiment une notion de « plaisir » dans le verre qui éclate.
Le miroir et le galet
La proposition présente deux éléments : un miroir et un galet posés sur un socle. Le galet repose sur le socle, le miroir est « debout », sur son arête, posé contre le galet. Ce miroir est de petite taille, de forme rectangulaire mais imprécise (il semblerait à vue d’œil).
Le bord de mer est la première image que m'évoque la proposition. Le galet me rappelle les plages d'Yport, petit village autrefois de pécheurs à proximité d'Etretat, dans lequel j'aime parfois passer un week-end, et y perdre un billet dans son casino. Le bord de mer, la plage, l'eau et le ciel... De mon point de vue, un angle du socle se reflète dans le miroir, sorte de ligne d'horizon à angle, surréaliste. En raison de l'éclairage, le miroir reflète sur le galet une bande de lumière plus forte, plus blanche : une sorte de dernier rayon de soleil auquel la pierre semble vouloir se rattacher. Du fait de son isolement, ce galet acquiert une particularité, une originalité. Perdu sur la plage parmi « les siens » innombrables, il n'aurait jamais été remarqué, pris en compte. Placé seul, sur un socle, il gagne une toute autre valeur, une toute autre considération, celle d'un spectateur d'exposition, et non plus celle d'un plagiste en short. Peut-être en raison de cet isolement, le galet esseulé recherche t-il la compagnie, le contact des siens, et ce rapport à son reflet évoque cette quête, cette situation. Un galet esseulé qui trouve une compagnie dans l'image de son reflet.
En examinant le rapport du caillou et du miroir, on comprend que le galet, par sa nature, sa forme et son poids ne dépend pas du miroir. Il pourrait être posé seul sur le socle, dans le même état. Contrairement, le miroir ne peut se tenir dans cette proposition, dans cette situation sans son rapport au galet, devenu « support ». C'est ce dernier, en effet, qui permet sa position verticale, « debout ». Le miroir dépend du galet, il repose dessus, comme sur une béquille. Un élément naturel « au service » d'un objet produit de l'homme. Pourquoi ce miroir serait-il venu prendre appui sur ce galet ? Posé face au socle, ou face au plafond, le miroir perd son statut, sa disposition classique, habituelle, c'est à dire verticale. On se tient généralement debout face à un miroir. Lorsque l'on se rase, que l'on évalue sa tenue vestimentaire, que l'on se maquille... ce dernier reste rarement face au plafond... Ainsi, la proposition évoque la tenue d'un élément pas naturel, par un élément naturel, dans son état « naturel », dans le sens d'état qui lui est ordinaire, consacré, intrinsèque. On peut parler d'une « réflexion », c'est bien le mot, sur la notion de « naturel », le naturel produit de la nature, et le naturel de l'objet dans la disposition qui lui est propre. Peut-on dire qu'un miroir "à plat" et non plus debout, n'est pas dans sa position « naturelle » ?
Le rapport du galet à son reflet m'évoque le mythe de Narcisse. Un rapport s'inverse dans la comparaison de la proposition et de cette « légende ». Là où l'homme, Narcisse, contemple son reflet dans un élément naturel, c'est dans notre cas, au tour de la nature, le galet, d'admirer son reflet dans un objet fabriqué et conçu par l'homme, le miroir. Cependant, dans les deux cas, la nature semble prendre le dessus sur l'homme. Dans le cas de Narcisse, c'est parce que l'eau de la source lui révèle son image, qu'il met fin à ses jours. Dans le second cas, nous l'avons dit, le miroir dépend du galet. Par ailleurs, dans un conflit de force entre les deux éléments de la proposition, on imagine facilement le miroir se faire éclater par le galet, et non l'inverse.
Cette considération m'évoque ces clichés de Doisneau, sur lesquels des gamins en short jouent dans les rues, sur les trottoirs, ou dans les terrains vagues, sauvages... les parties de billes, les équilibres sur les mains, les lance-pierres... Le galet de la proposition est un peu gros, mais c'est bien l'image du lance-pierre, sa fourche en bois, sa forme en V et son gros élastique que l'ensemble m'évoque, sûrement en raison de la proximité du miroir, cible idéale... Le plaisir de casser du verre : vitre, carreau, bouteille (de lait sur les clichés de Doisneau)... Je me souviens, gamin, de parties de lancés de cailloux dans des alignements de canettes de bière en verre. Je reconnais que c'était assez « con » comme occupation, mais je me souviens aussi du plaisir de la casse du verre : le visé juste, la puissance, l'éclat, le bruit, le risque un peu aussi, et bien sûr, l'interdit. Mon père m'a souvent raconté cette journée « de malheur » lors de laquelle il avait maladroitement cassé une bouteille de lait en jouant dans le jardin de ses voisins, et la grande angoisse qui l'avait saisi alors, face à l'ampleur des dégâts, la faute impardonnable... Peut-être un écart de générations m'avait permis de ne pas sombrer dans un tel désarroi... Je pense à une installation, découverte au Centre Pompidou, mais dont j'ignore l'auteur, œuvre constituée de néons de verre allumés et suspendus au plafond, et qui chutent les uns à la suite des autres, s'éclatent au sol dans un fracas sonore, et rendent l'espace d'exposition de plus en plus obscur, jusqu'à la chute du dernier, jusqu'au noir complet. Le Labyrinthe de verre éclaté de Parmiggiani, les coups de masse dans les miroirs de Pistoletto, les impacts de balles de Monory... je crois qu'il y a vraiment une notion de « plaisir » dans le verre qui éclate.