Évocation n° 01 - Le cadre
Objet sur socle blanc, texte encadré - 2016
Objet sur socle blanc, texte encadré - 2016
Texte de la proposition :
Le cadre
Dans l'étude des peintures, on dit que la composition mise en place par le peintre lui permet de faire évoluer le regard du spectateur selon un cheminement défini et choisi. De nombreux écrits nous permettent ainsi de comprendre la déambulation du regard sur la surface considérée : il y est question de lumière, de composition, de structure, de vides et de pleins... Ces écrits nous indiquent alors que « le regard du spectateur s'accroche en premier lieu... », que « les lignes de force convoquent l'attention première sur tel ou tel objet... » ou encore, que « par un jeu de lumière savant et réfléchi... ». Dans le cas présent, en considérant cette proposition, je reconnais que mon attention première se porte sur la photo elle-même, et la route qu'elle nous présente.
N'ayant pas connu ses grandes heures, je ne « reconnais » pas la Nationale 7, mais c'est pourtant bien cette première idée qui me vient à l'esprit. La photographie date, les automobiles indiquent une époque passée, mais pas trop lointaine non plus (une autre génération, celle de nos grands-pères), un temps plutôt clément, un soleil que l'on devine par une surexposition de l'angle supérieur gauche du cliché, une route de campagne champêtre et non pas nos autoroutes de juillet/août... Peut-être ce cliché est-il un témoignage de cette époque, des premiers congés payés, des départs en vacances de nos aînés. Je ne suis pas un grand connaisseur des automobiles (mon père l'est beaucoup plus), aussi m'est-il difficile de dater précisément l'époque de la photographie. J'aime bien leurs formes, les arrondis de la carrosserie de la voiture coupée sur le côté gauche du cliché.
Je pense au « Corniaud » de Oury, je revois Bourvil sur les routes de campagne, partant lui aussi en vacances, dans le sud, Louis de Funes et ses manigances à ses trousses, le diamant dans le klaxon... Après quelques instants, Belmondo « prend le volant », sa clope au bec, derrière ses lunettes de soleil, dans « Pierrot le fou » de Godart : « Si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la campagne, allez vous faire foutre... ». Une réplique que l'on n'a pas à apprendre pour la retenir (peut-être à peu près en tous cas). Le bas-côté de la route m'évoque alors la scène de la voiture qui crame, au milieu d'autres objets et structures abandonnés, la mort du flic, la bagarre de la station-service, les pieds nickelés...
En considérant l'ensemble de manière plus matérielle, le cadre de la photographie m'interpelle à son tour. Il est posé sur le socle, soigneusement, dans la mesure où l'espace restant visible de la surface du socle est égal de part et d'autre du cadre. Dans son emploi classique, un cadre s'accroche au mur, de manière verticale. Cette « exposition » est donc inhabituelle. Ce choix ne l'impose pas à la vue du spectateur, comme il l'aurait été à hauteur de son regard, accroché au mur. Il contraint le visiteur à venir à son aplomb pour considérer son contenu. La mise en place induit une participation plus engagée de ce spectateur. Par ailleurs, ce dernier ne considère plus une photographie mise sous cadre, mais bien un ensemble cadre/photo, autant mis en avant l'un que l'autre. Le socle garde ici le rôle, la fonction de présentoir, de support. Il y a une sorte de mise en abîme ; le socle présente l'ensemble cadre/photographie, le cadre présente la photographie, la photographie présente l'image, la vue de la route.
Le cadre est en bois, il est vieux et peu ou pas entretenu. La photographie n'est pas ajustée à sa taille. Elle laisse percevoir le fond, le support, le revers du dos du cadre, troué par les deux attaches qui permettraient son accrochage au mur. J'imagine une personne âgée procéder à cet assemblage, à cet encadrement, peu soucieuse ou peu concernée par la cohérence, l'ajustement de l'ensemble. Peut-être serait-ce une personne amoindrie, plus tout à fait lucide, mais bien attachée, malgré tout, à ce cliché, à ce souvenir... la fille ou le fils de ce conducteur de l'automobile, qui aurait conservé l'image avec précaution, ou l' aurait retrouvée avec joie, tardivement... Peut-être cet objet a-t-il été trouvé en brocante, ou dans un vide-grenier, oublié là parmi d'autres objets chers à une personne mais pas à sa descendance.
Pourquoi placer cet ensemble dans ces dispositions ? Que peut-on lire, et dire, de cette photographie « à plat » ? La perspective est très présente sur le cliché, mais là où elle aurait dû conduire le spectateur « loin », dans une position verticale, elle nous conduit « bas » dans le cas présent : nous n'allons plus « au loin », mais « au fond » désormais. Le terme « profondeur » employé dans le domaine de la perspective, mais aussi dans le domaine de la photographie (profondeur de champ) prend ici un sens décuplé. Les automobiles filent vers le bas, vers le fond, à grande vitesse. J'y vois une métaphore du temps qui passe, des souvenirs qu'on oublie, un passé qu'on enterre. L'image, elle-même, est de « basse » définition, aujourd'hui remplacée, enterrée par la haute définition. Peut-être cette proposition est-elle celle d'une personne nostalgique d'une époque passée et révolue, l'époque des longs trajets, des routes de campagne, de la basse définition, et de la nationale 7.
Le cadre
Dans l'étude des peintures, on dit que la composition mise en place par le peintre lui permet de faire évoluer le regard du spectateur selon un cheminement défini et choisi. De nombreux écrits nous permettent ainsi de comprendre la déambulation du regard sur la surface considérée : il y est question de lumière, de composition, de structure, de vides et de pleins... Ces écrits nous indiquent alors que « le regard du spectateur s'accroche en premier lieu... », que « les lignes de force convoquent l'attention première sur tel ou tel objet... » ou encore, que « par un jeu de lumière savant et réfléchi... ». Dans le cas présent, en considérant cette proposition, je reconnais que mon attention première se porte sur la photo elle-même, et la route qu'elle nous présente.
N'ayant pas connu ses grandes heures, je ne « reconnais » pas la Nationale 7, mais c'est pourtant bien cette première idée qui me vient à l'esprit. La photographie date, les automobiles indiquent une époque passée, mais pas trop lointaine non plus (une autre génération, celle de nos grands-pères), un temps plutôt clément, un soleil que l'on devine par une surexposition de l'angle supérieur gauche du cliché, une route de campagne champêtre et non pas nos autoroutes de juillet/août... Peut-être ce cliché est-il un témoignage de cette époque, des premiers congés payés, des départs en vacances de nos aînés. Je ne suis pas un grand connaisseur des automobiles (mon père l'est beaucoup plus), aussi m'est-il difficile de dater précisément l'époque de la photographie. J'aime bien leurs formes, les arrondis de la carrosserie de la voiture coupée sur le côté gauche du cliché.
Je pense au « Corniaud » de Oury, je revois Bourvil sur les routes de campagne, partant lui aussi en vacances, dans le sud, Louis de Funes et ses manigances à ses trousses, le diamant dans le klaxon... Après quelques instants, Belmondo « prend le volant », sa clope au bec, derrière ses lunettes de soleil, dans « Pierrot le fou » de Godart : « Si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la campagne, allez vous faire foutre... ». Une réplique que l'on n'a pas à apprendre pour la retenir (peut-être à peu près en tous cas). Le bas-côté de la route m'évoque alors la scène de la voiture qui crame, au milieu d'autres objets et structures abandonnés, la mort du flic, la bagarre de la station-service, les pieds nickelés...
En considérant l'ensemble de manière plus matérielle, le cadre de la photographie m'interpelle à son tour. Il est posé sur le socle, soigneusement, dans la mesure où l'espace restant visible de la surface du socle est égal de part et d'autre du cadre. Dans son emploi classique, un cadre s'accroche au mur, de manière verticale. Cette « exposition » est donc inhabituelle. Ce choix ne l'impose pas à la vue du spectateur, comme il l'aurait été à hauteur de son regard, accroché au mur. Il contraint le visiteur à venir à son aplomb pour considérer son contenu. La mise en place induit une participation plus engagée de ce spectateur. Par ailleurs, ce dernier ne considère plus une photographie mise sous cadre, mais bien un ensemble cadre/photo, autant mis en avant l'un que l'autre. Le socle garde ici le rôle, la fonction de présentoir, de support. Il y a une sorte de mise en abîme ; le socle présente l'ensemble cadre/photographie, le cadre présente la photographie, la photographie présente l'image, la vue de la route.
Le cadre est en bois, il est vieux et peu ou pas entretenu. La photographie n'est pas ajustée à sa taille. Elle laisse percevoir le fond, le support, le revers du dos du cadre, troué par les deux attaches qui permettraient son accrochage au mur. J'imagine une personne âgée procéder à cet assemblage, à cet encadrement, peu soucieuse ou peu concernée par la cohérence, l'ajustement de l'ensemble. Peut-être serait-ce une personne amoindrie, plus tout à fait lucide, mais bien attachée, malgré tout, à ce cliché, à ce souvenir... la fille ou le fils de ce conducteur de l'automobile, qui aurait conservé l'image avec précaution, ou l' aurait retrouvée avec joie, tardivement... Peut-être cet objet a-t-il été trouvé en brocante, ou dans un vide-grenier, oublié là parmi d'autres objets chers à une personne mais pas à sa descendance.
Pourquoi placer cet ensemble dans ces dispositions ? Que peut-on lire, et dire, de cette photographie « à plat » ? La perspective est très présente sur le cliché, mais là où elle aurait dû conduire le spectateur « loin », dans une position verticale, elle nous conduit « bas » dans le cas présent : nous n'allons plus « au loin », mais « au fond » désormais. Le terme « profondeur » employé dans le domaine de la perspective, mais aussi dans le domaine de la photographie (profondeur de champ) prend ici un sens décuplé. Les automobiles filent vers le bas, vers le fond, à grande vitesse. J'y vois une métaphore du temps qui passe, des souvenirs qu'on oublie, un passé qu'on enterre. L'image, elle-même, est de « basse » définition, aujourd'hui remplacée, enterrée par la haute définition. Peut-être cette proposition est-elle celle d'une personne nostalgique d'une époque passée et révolue, l'époque des longs trajets, des routes de campagne, de la basse définition, et de la nationale 7.