Illustration de commentaire n° 03 - Série n°02
Encre de chine sur papier Canson 65x50 cm - mars 2017
Encre de chine sur papier Canson 65x50 cm - mars 2017
Commentaire illustré :
Un jeune homme, la trentaine confortablement installé dans un fauteuil de bureau en cuir noir, s’adonne avec le lyrisme d’un comédien du Français, au jeu de la théorisation de l’art. Sa nonchalance et cette façon de discourir librement de tout, du critique, de l’artiste, du musée, de la société, comme l’on donne ses impressions, rend son discours très décousu, voire par moments incompréhensible. Le réalisateur consciencieux aura pris soin de créer par le choix d’un cadrage rapproché et fixe et en suggérant la présence d’un interlocuteur hors-champ, une analogie avec L’Abécédaire de Deleuze. Est-ce là un documentaire, une œuvre ou une farce ? Qui est cet individu qui déblatère remontant le temps du XVIIème à nos jours, s’incarnant tantôt en théoricien tantôt en artiste ? Employant le je ou adoptant la distance d’une 4ème de couverture ?
L’œuvre est d’un jeune artiste conceptuel, Michaël Jourdet, qui aime à insuffler dans ces peintures et dans ces vidéos, une certaine dérision. Diplômé de l’École supérieur des arts de Rueil-Malmaison, il étudie alors auprès de Claude Rutault, maître dans l'art du monochrome, de la couleur, de la spatialité. Naturellement, l'élève s'intéresse au même objet pictural, à sa neutralité qui aura fait couler tant d'encre, objet de toutes les polémiques rendu à sa banalité au fur et à mesure du temps. De sa pratique picturale, on retiendra entre autres ses « monochromes sponsorisés », ses « monochromes inédits » ou encore ses « monochromes tendances », dans un hommage actualisé, mondialisé, à Malevitch. A cette première référence s'impose rapidement celle plus marginale et antérieure au génial Alphonse Allais. Il serait en effet regrettable d'oublier que dès 1893, c'est lui le premier à présenter pour la première fois au Salon des arts Incohérents une série d'abstraction radicale, sous-titrée d'un Récolte de la tomate sur le bord de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques si nous prenons l'ex du tableau rouge. Chez Michael Jourdet, ces titres à l'eau de rose et pétris d'humour vache puisqu'ils s'attaquaient à l'impressionnisme, cèdent leur place aux sigles du marketing, aux stratégies médiatiques, aux symboles populaires des enseignes et des marques. Dans la même veine et précédant la pièce qui nous est présentée, la vidéo de Michaël Jourdet "J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.", étaie le processus de création et interroge, si ce n’est dément, le principe même d’accompagnement textuel d’une œuvre. A nouveau, l'artiste combine le sous-titrage à un carré blanc, découpe lumineuse projetée sur une toile de même dimension.
A quoi bon une notice? une médiation? un dispositif entre l’œuvre et son regardeur? C’est sans doute ce qui nous est vivement suggéré ici avec ces mises bout à bout, ces jointures de citations dont on ne peut que deviner les auteurs ou les sujets : La Bruyère, peut-être Adorno, Kandinski, Baudrillard? Car ne sommes-nous pas face à un simulacre dans l'application de ce que dénonçait La société du spectacle, de ce qu'anticipait Debord, dans l'implosion d'un système. L'analyse pourrait se résumer à cette mascarade, cette caricature et cette historisation résumée de la critique mais elle pose de derechef la question de l'autonomie d'une œuvre à son contexte, au discours qu'elle engendre et qui l'accompagne et parfois lui perdure, et au public, "au voyant" et à sa réception. La simplicité du procédé et l'absurdité de l'entreprise de Michael Jourdet déjoue ainsi le schéma codifié de l'art, et la nature même de ce texte, commande de l'artiste, n'en fait qu'une piètre notice tout juste bonne à s'aligner en conclusion des 20 sentences énoncées par l'acteur. Pied de nez à la pratique d'un conceptualisme ambiant jugé trop sérieux, cette vidéo absorbe ce faisant la critique dans un geste de survie cannibale, réajustant sa primauté dans l'ordre de la création.
Pauline Guelaud, Chargée de production pour le département Art Contemporain du Louvre
Note participative à la proposition "Propos sur l'art", juin 2012
Un jeune homme, la trentaine confortablement installé dans un fauteuil de bureau en cuir noir, s’adonne avec le lyrisme d’un comédien du Français, au jeu de la théorisation de l’art. Sa nonchalance et cette façon de discourir librement de tout, du critique, de l’artiste, du musée, de la société, comme l’on donne ses impressions, rend son discours très décousu, voire par moments incompréhensible. Le réalisateur consciencieux aura pris soin de créer par le choix d’un cadrage rapproché et fixe et en suggérant la présence d’un interlocuteur hors-champ, une analogie avec L’Abécédaire de Deleuze. Est-ce là un documentaire, une œuvre ou une farce ? Qui est cet individu qui déblatère remontant le temps du XVIIème à nos jours, s’incarnant tantôt en théoricien tantôt en artiste ? Employant le je ou adoptant la distance d’une 4ème de couverture ?
L’œuvre est d’un jeune artiste conceptuel, Michaël Jourdet, qui aime à insuffler dans ces peintures et dans ces vidéos, une certaine dérision. Diplômé de l’École supérieur des arts de Rueil-Malmaison, il étudie alors auprès de Claude Rutault, maître dans l'art du monochrome, de la couleur, de la spatialité. Naturellement, l'élève s'intéresse au même objet pictural, à sa neutralité qui aura fait couler tant d'encre, objet de toutes les polémiques rendu à sa banalité au fur et à mesure du temps. De sa pratique picturale, on retiendra entre autres ses « monochromes sponsorisés », ses « monochromes inédits » ou encore ses « monochromes tendances », dans un hommage actualisé, mondialisé, à Malevitch. A cette première référence s'impose rapidement celle plus marginale et antérieure au génial Alphonse Allais. Il serait en effet regrettable d'oublier que dès 1893, c'est lui le premier à présenter pour la première fois au Salon des arts Incohérents une série d'abstraction radicale, sous-titrée d'un Récolte de la tomate sur le bord de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques si nous prenons l'ex du tableau rouge. Chez Michael Jourdet, ces titres à l'eau de rose et pétris d'humour vache puisqu'ils s'attaquaient à l'impressionnisme, cèdent leur place aux sigles du marketing, aux stratégies médiatiques, aux symboles populaires des enseignes et des marques. Dans la même veine et précédant la pièce qui nous est présentée, la vidéo de Michaël Jourdet "J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.", étaie le processus de création et interroge, si ce n’est dément, le principe même d’accompagnement textuel d’une œuvre. A nouveau, l'artiste combine le sous-titrage à un carré blanc, découpe lumineuse projetée sur une toile de même dimension.
A quoi bon une notice? une médiation? un dispositif entre l’œuvre et son regardeur? C’est sans doute ce qui nous est vivement suggéré ici avec ces mises bout à bout, ces jointures de citations dont on ne peut que deviner les auteurs ou les sujets : La Bruyère, peut-être Adorno, Kandinski, Baudrillard? Car ne sommes-nous pas face à un simulacre dans l'application de ce que dénonçait La société du spectacle, de ce qu'anticipait Debord, dans l'implosion d'un système. L'analyse pourrait se résumer à cette mascarade, cette caricature et cette historisation résumée de la critique mais elle pose de derechef la question de l'autonomie d'une œuvre à son contexte, au discours qu'elle engendre et qui l'accompagne et parfois lui perdure, et au public, "au voyant" et à sa réception. La simplicité du procédé et l'absurdité de l'entreprise de Michael Jourdet déjoue ainsi le schéma codifié de l'art, et la nature même de ce texte, commande de l'artiste, n'en fait qu'une piètre notice tout juste bonne à s'aligner en conclusion des 20 sentences énoncées par l'acteur. Pied de nez à la pratique d'un conceptualisme ambiant jugé trop sérieux, cette vidéo absorbe ce faisant la critique dans un geste de survie cannibale, réajustant sa primauté dans l'ordre de la création.
Pauline Guelaud, Chargée de production pour le département Art Contemporain du Louvre
Note participative à la proposition "Propos sur l'art", juin 2012