"J'ai ensuite pensé que l'idée ne suffisait pas".
Installation, Vidéo numérique 6'52'', toile monochrome blanche 81x100 cm - 2009 - Exemplaire n°1/3 acquisition Galerie Chomette
Installation, Vidéo numérique 6'52'', toile monochrome blanche 81x100 cm - 2009 - Exemplaire n°1/3 acquisition Galerie Chomette
" A l’origine, cette installation s’appelait « monochrome blanc éclairé par sa propre image ». Elle se constituait d’une toile peinte en blanc, sur laquelle se projette une vidéo réalisée à partir d’une seule image répétée, celle de la toile. L’ensemble se contentait de cette image de la toile projetée sur elle-même. Le rendu visuel était des plus minimalistes. J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
J’ai alors réfléchi aux possibilités offertes par la vidéo. Quelles nouvelles propositions permettaient le passage d’une image fixe à un plan fixe ? En m’appuyant sur le 4’33’’ de Cage, j’ai eu l’idée de faire durer la projection pendant 4 minutes et 33 secondes. Au silence des 4’33’’ de Cage répondait alors 4 minutes 33 secondes d’exposition de vide de la toile. J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
Je me suis alors concentré sur l’idée de parasiter l’image fixe par une intervention inattendue. Au terme de mes réflexions, j’envisageais le passage d’une personne devant la toile filmée. Lors de la projection, cette personne aurait alors pu être affiliée à ces personnes qui perturbent le regard du spectateur en passant entre ce dernier et l’œuvre considérée. J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
J’ai alors envisagé l’utilisation de sous-titres, propres à déporter l’attention portée à la toile. J’ai commencé par rechercher des commentaires d’œuvres contemporaines assez communs et généraux, assez imprécis et évasifs qui pourraient défendre et être attribués à n’importe quelle proposition, dont celle-ci. Après une petite récolte d’interprétations, je n’étais pas vraiment convaincu par le fait de détourner l’attention du spectateur vers un sujet qui n’était pas propre à la proposition elle-même (les commentaires d’autres propositions). J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
J’ai cherché quelles inscriptions pouvaient se référer au fonctionnement de la proposition et à la toile elle-même. Dans son livre « Misère de l’art », Jean-Philippe Domecq déplore la perte de valeur de l’œuvre au profit de ses textes explicatifs. J’ai alors réfléchi au moyen d’intégrer ces textes et explications à l’œuvre elle-même : Si « l’essentiel de la valeur esthétique d’une œuvre se fonde sur les mots qui l’accompagnent », la proposition devait retrouver l’intégralité de sa valeur en incluant ces mots dans son fonctionnement même. Pour ne pas « passer secondaire par rapport à un texte explicatif », elle devait faire de ce dernier l’essence même de son fonctionnement. Les notions de primaire et secondaire devaient être anéanties par la mise en relation de la pièce et de son explication en un lieu unique. La mise en œuvre de la proposition devait être nécessaire en permettant l’énonciation de cet explicatif. La richesse de sens devait redevenir inhérente à l’œuvre, et celle-ci devait empêcher par la même occasion, « toute prolifération d’énoncés générée par décision extérieure, et qui pourrait outrepasser l’offre de l’œuvre ». J’ai alors pensé que l’idée devait être développée.
J’ai ensuite reconsidéré une de mes anciennes propositions : « Ca déconsidère l’art moderne ! ». Cette vidéo retranscrit de manière incompréhensible les commentaires et réactions d’incompréhension de visiteurs du centre Georges Pompidou face à des œuvres conceptuelles. La vidéo se nourrissait d’incompréhensions pour en créer une nouvelle. J’ai alors pensé que la proposition pouvait, à l’opposé, proposer un trop plein d’explications, qui au final empêcherait la considération de la pièce elle-même. J’ai alors pensé que l’idée devait être développée.
Je me suis appliqué à retracer chacune des étapes et idées qui au final ont fait aboutir la proposition à ce qu’elle est devenue. Une fois écrit, le texte a été ajouté en sous-titres à la vidéo. J’ai alors réfléchi à l’intérêt de le traduire en anglais, afin d’en proposer une seconde version sonore au spectateur. L’idée était de renforcer la perte du principe premier de l’installation par un trop plein d’informations. J’ai alors pensé que ce dernier ajout n’était pas nécessaire.
J’ai alors pensé que la pièce se suffisait et fonctionnait. "
Texte de la vidéo de l'installation "J'ai ensuite pensé que l'idée ne suffisait pas".
J’ai alors réfléchi aux possibilités offertes par la vidéo. Quelles nouvelles propositions permettaient le passage d’une image fixe à un plan fixe ? En m’appuyant sur le 4’33’’ de Cage, j’ai eu l’idée de faire durer la projection pendant 4 minutes et 33 secondes. Au silence des 4’33’’ de Cage répondait alors 4 minutes 33 secondes d’exposition de vide de la toile. J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
Je me suis alors concentré sur l’idée de parasiter l’image fixe par une intervention inattendue. Au terme de mes réflexions, j’envisageais le passage d’une personne devant la toile filmée. Lors de la projection, cette personne aurait alors pu être affiliée à ces personnes qui perturbent le regard du spectateur en passant entre ce dernier et l’œuvre considérée. J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
J’ai alors envisagé l’utilisation de sous-titres, propres à déporter l’attention portée à la toile. J’ai commencé par rechercher des commentaires d’œuvres contemporaines assez communs et généraux, assez imprécis et évasifs qui pourraient défendre et être attribués à n’importe quelle proposition, dont celle-ci. Après une petite récolte d’interprétations, je n’étais pas vraiment convaincu par le fait de détourner l’attention du spectateur vers un sujet qui n’était pas propre à la proposition elle-même (les commentaires d’autres propositions). J’ai ensuite pensé que l’idée ne suffisait pas.
J’ai cherché quelles inscriptions pouvaient se référer au fonctionnement de la proposition et à la toile elle-même. Dans son livre « Misère de l’art », Jean-Philippe Domecq déplore la perte de valeur de l’œuvre au profit de ses textes explicatifs. J’ai alors réfléchi au moyen d’intégrer ces textes et explications à l’œuvre elle-même : Si « l’essentiel de la valeur esthétique d’une œuvre se fonde sur les mots qui l’accompagnent », la proposition devait retrouver l’intégralité de sa valeur en incluant ces mots dans son fonctionnement même. Pour ne pas « passer secondaire par rapport à un texte explicatif », elle devait faire de ce dernier l’essence même de son fonctionnement. Les notions de primaire et secondaire devaient être anéanties par la mise en relation de la pièce et de son explication en un lieu unique. La mise en œuvre de la proposition devait être nécessaire en permettant l’énonciation de cet explicatif. La richesse de sens devait redevenir inhérente à l’œuvre, et celle-ci devait empêcher par la même occasion, « toute prolifération d’énoncés générée par décision extérieure, et qui pourrait outrepasser l’offre de l’œuvre ». J’ai alors pensé que l’idée devait être développée.
J’ai ensuite reconsidéré une de mes anciennes propositions : « Ca déconsidère l’art moderne ! ». Cette vidéo retranscrit de manière incompréhensible les commentaires et réactions d’incompréhension de visiteurs du centre Georges Pompidou face à des œuvres conceptuelles. La vidéo se nourrissait d’incompréhensions pour en créer une nouvelle. J’ai alors pensé que la proposition pouvait, à l’opposé, proposer un trop plein d’explications, qui au final empêcherait la considération de la pièce elle-même. J’ai alors pensé que l’idée devait être développée.
Je me suis appliqué à retracer chacune des étapes et idées qui au final ont fait aboutir la proposition à ce qu’elle est devenue. Une fois écrit, le texte a été ajouté en sous-titres à la vidéo. J’ai alors réfléchi à l’intérêt de le traduire en anglais, afin d’en proposer une seconde version sonore au spectateur. L’idée était de renforcer la perte du principe premier de l’installation par un trop plein d’informations. J’ai alors pensé que ce dernier ajout n’était pas nécessaire.
J’ai alors pensé que la pièce se suffisait et fonctionnait. "
Texte de la vidéo de l'installation "J'ai ensuite pensé que l'idée ne suffisait pas".
"La clarté, la simplicité naturelle, avec lesquelles ce jeune artiste met à nu les voies intestines de la création d’une œuvre, de cette opération a priori mystérieuse qui va de l’idée à l’objet fini, rien ne nous est caché : l’élan, l’essai, le retour arrière, l’ajout, l‘écart, le retour arrière, avancer, poser, réfléchir, nettoyer, recommencer autrement ; pas à tâtons mais dans une tension indirecte et ferme à la fois, vers la pureté de l’essentiel, un désir tendu tel que chaque pas en avant, chaque tentative sont aussitôt remis en question par l’aveu « J’ai alors pensé que l’idée ne suffisait pas » qui vient scander ces 6 minutes 52 de privilège, comme rarement offert par les pièces d’art contemporain. Celui d’accéder à l’intimité inouïe d’un accouchement vu de l’intérieur, de la mise au jour de la pensée et du geste qui à leur tour donnent vie à une œuvre et la poussent jusqu’à ce qu’elle soit en pleine lumière face au regard des autres. Comment la pensée taille à partir de rien ou presque : une toile blanche qui reçoit la projection de son double lumineux et des mots pour le faire. Comment aussi induire les attitudes réflexes du public qui à la fois souhaite et redoute qu’on le prenne par la main pour franchir les embuches et les mystères de toute œuvre conceptuelle, par définition obscure, intimidante et rétive à la compréhension immédiate. Et comment les déjouer par ce retournement de gant continu et répétitif qui apprivoise et connecte les circuits cérébraux de l’adversaire jusqu’ à ce que tout se mette en place et glisse en deux fluidités parallèles d’où l’émotion peut alors surgir : celle de l’artiste cheminant et celle du regard qui le découvre".
Michèle Chomette, mai-août 2010
Michèle Chomette, mai-août 2010
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